« … confiture exquise aux bons poètes. »
A.Rimbaud
« Le désordre est essentiel à la « création » en tant que celle-ci se définit par une certain « ordre ». »
P. Valéry
Une belle œuvre parle d’elle-même. Michel Jouët plus que tout autre artiste en semble persuadé. Tout commentaire lui coûte et quand, par gentillesse ou respect de son interlocuteur, il consent à s’expliquer, il parle moins de lui que des règles qu’il s’est imposées ou, plutôt, qui se sont imposées à lui ; parfois au bout d’un long cheminement. Les règles, toutes puissantes, lui paraissent recéler la vraie force créative.
Alors, pendant quelques minutes, l’artiste devient volubile : angulation, intervalles, flexibles, fils à plomb, inscription du triangle puis du carré dans le cercle, … le tour de passe-passe est très simple. Il suffisait d’y penser. C’est drôle, non ? Les mots et les phrases se télescopent un peu : Rien ne doit peser. Rester fidèle à l’intuition de départ. On acquiesce, un peu étourdi, pas tout à fait sûr de ne pas s’être égaré en route. Les géomètres de profession, eux patiemment, referont le chemin, le jalonneront, feront le tour du propriétaire… et s’apercevront qu’ils ne sont pas tout à fait chez eux. Tout le monde est perdu. C’était peut-être le but ?
Quoi qu’il soit, une chose est sûre : L’artiste revendique… une certaine irresponsabilité. Seules comptent les lois incontournables de la géométrie et de la physique et celles, plus secrètes, qui régissent la perception des formes mobiles ou statiques dans l’espace. Ajoutez à cette recette une pincée de hasard. On est aux antipodes des conceptions romantiques. Point d’expression. « Expression, expression… c’est bon pour les citrons », répétait déjà Camille Bryen, paraît-il. Point de thèse non plus à défendre : sinon une extrême modestie militante. Si cette idée à un sens.
L’espace esthétique dans lequel se meut Michel Jouët est ainsi l’un des moins encombrés qu’on puisse imaginer. Pas d’ego, plus d’anecdote, plus de symbole ni de message ; les couleurs ont même généralement disparu. La formule qu’il a décidé de reconnaître offre aux créateurs un champ d’investigation pratiquement illimité.
Une question alors se pose : et la beauté dans tout cela ? Est-on vraiment concerné par ces figures apparemment si désincarnées ? C’est vrai, le visiteur d’une exposition de Michel Jouët ne reçoit pas forcément un des chocs émotionnels qu’une certaine peinture l’a habitué à attendre. En un sens, il peut même se sentir un moment déçu, frustré d’un plaisir escompté. En fait, l’artiste s’est résolument placé sur un autre terrain, délaissant tout pathos pour le clin d’œil et l’humour. C’est donc sur ce registre que s’engage le nécessaire dialogue de l’œuvre avec le public et avec les œuvres du passé. Car Michel Jouët ne vit pas dans un monde clos, fût-ce de modernité. Telle œuvre joue avec Max Ernst, telle autre avec Mondrian – une des seules sérigraphies colorées – toute une série part de croûtes récupérées aux puces. Et puis, si le clavier de nos émotions (parfois un peu convenues, admettons-le ; « ho ! Le beau rouge ! La jolie courbe… ») est peu sollicité, le vide ainsi crée n’est-il pas salutaire ? En tout cas, quel délicieux repos pour l’œil !
Cette œuvre, si minimale d’apparence, dégage pourtant comme un discret parfum de sagesse. Une sagesse élémentaire, qui ne revendiquerait aucun patron prestigieux, même de manière lointaine. Ni Pythagore, ni les Pré-socratiques, ni Lao-Tseu n’ont jamais été vraiment sur la table de chevet de Michel Jouët. Point non plus, dans son parcours, de ces révélations fondatrices comme on en trouve si fréquemment dans la biographie des artistes de la génération précédente.
Il faut donc laisser parler d’eux-mêmes les reliefs, les toiles et les volumes. Leur langage très épuré exige en tout premier lieu le silence intérieur dont nos vies de consommateurs citadins nous éloignent si continuellement, que nous en oublions presque la nécessité. Il génère aussi un espace qui, débordant du cadre ou du volume de l’œuvre, redéfinit le territoire toujours trop étroit de nos installations paresseuses. On peut donc légitimement y voir une sorte « d’exercice spirituel » du regard. Soyons rassurés : cette écriture minimale ne sonne pas le vide !
Jean-Pierre Arnaud
Présence de l’Art Contemporain