Sylvain Reboul

LA GEOMETRIE EROTIQUE DE MICHEL JOUËT

La rencontre avec les œuvres de Michel Jouët me plonge dans l’équivoque: géométrie froide, minimale et néanmoins subtile, vibrante, sus tendue par une sensualité (dé)libérée : je découvre alors que, à l’opposé de l ‘art de François Morellet, du puritanisme moral de celui-ci qui se manifeste par l’humour et la dérision, Jouët, alors même qu’il utilise ou réinvente un langage proche, construit une géométrie variable du plaisir: un érotisme à la pureté ironique et joyeuse.

Trois idées forces s’imposent à moi :

- La géométrie de Jouët est dynamique :

Débordements, formes déstabilisées, déchirures, déséquilibres savamment programmés, tensions, échos d’ombres, mobilité des formes selon la déambulation méditative du spectateur , animent les formes et les temporalisent.

-Cette dynamique est chorégraphique :

Projet de lignes, dialogue constant entre traces et volumes, droites et courbes, entre figures réelles et virtuelles font de sa peinture un jeux de mouvements en temps réel.

-Cette chorégraphie est érotique :

La sensualité des espaces courbes enveloppe les structures rectilignes : la chair des volumes suggérés anime le squelette articulé qui structure le libre et parfaitement réglé jeu des courbes; le suspens déchiré de la structure formelle fait de cette chorégraphie une provocation du désir en évoquant les glissements progressifs du plaisir : les déchirures des formes provoquées par une tension parfaitement ordonnée (loi de série) concentre la pulsion érotique en vision dynamique où le chaos destructeur de la pulsion fait place à la maîtrise de la jouissance.

L’érotisme, chez Jouët, est, en effet, à l’opposé du pathos et de la confusion des sentiments : il est construction savante en un calcul mouvant du plaisir ; la maîtrise de l’aléas ; la présence surmontée de celui-ci ; l’humour distancé, la rigueur de la forme et de la loi en sont les éléments nécessaires ; de ce plaisir stylisé, sans cupidité, tourne le dos a la dissémination de l’érotisme que produit Morellet par la répétition dérisoire et parfois morne de formes géométriques qui évacuent la sensualité, sinon à l’état de manque. Jouët ordonne le plaisir défiant la chaos et le hasard.

Cette gaieté érotique efface toute trace de haine de soi ; tout sentiment négatif; une telle démarche ne relève pas, selon moi, d’un idéalisme désincarné, mais d’un matérialisme spiritualisé et par la érotisé, où la résistance du réel et du hasard, toujours présente, transparaît comme faire-valoir de la puissance jouisseuse de l’esprit; un matérialisme épicurien où le ballet des atomes et des lignes de forces engendrent les formes géométriquement sublimées du plaisir.

L’art de Michel Jouët me semble se situer aussi loin de la rigueur implacable et réductrice de Morellet que la richesse émotionnelle, au bord de la confusion, de l’art « gestuel »: au point précis de (dés)équilibre entre la raison et la sensibilité, sans demi-mesure, ni plus, ni moins… Une dernière équivoque de son style m’interroge : la plume et la sphère, ou la caresse kitsch du hasard à la nécessité; serait-ce trop joli pour être beau ?

SYLVAIN REBOUL, le 24/02/95.

Philosophe,vit en Allemagne.