Michel Luneau

Le même et son contraire

L’eau et le feu. Pour une fois ensemble et s’attirant. D’un côté les vagues dans un enroulement incessant, de l’autre le miroir, l’impassibilité obstinée du miroir. D’un côté la paix de l’eau gelée qui protège son mystère, de l’autre le fleuve en crue qui déverse et déverse. D’un côté l’émotion violente, de l’autre le silence assourdissant. D’un côté Stravinsky, son sacre du printemps, de l’autre l’hiver de Vivaldi, notes et neige immaculées. D’un côté la prière, de l’autre le tourment. D’un côté le passage en force de la lumière à la forme, de l’autre la sérénité d’une clarté en apparence neutre, synthèse éblouissante des sept couleurs du spectre. D’un côté la gesticulation furieuse, incroyablement maîtrisée, des vides et des pleins, de l’autre le geste bref, méticuleux, mathématique qui n’autorise que le cercle ou le trait ou le point. D’un côté la sensualité affichée, la volupté de l’herbe qui se donne libre cours, de l’autre la pudeur attisante, secrète, anxieusement contenue.

Michel Jouët, Jean Messagier. On ne peut rêver peintures plus dissemblables. D’où vient alors l’attraction qu’elles semblent exercer l’une sur l’autre ? D’où vient qu’on les sente en accord si profond comme le sont l’alpha et l’oméga ? C’est que nous avons affaire ici à une recherche commune bien que totalement différenciée : la recherche, toujours recommencée de la peinture absolue.

Michel Luneau 2006

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Michel Jouët est formel : il n’est pas l’auteur véritable de son œuvre.

Alors que tant de ces confrères se posent en victimes de leur génie, lui ne revendique que celui du hasard.

C’est le hasard qui a tout fait. Le seul mérite qu’il se reconnaisse, c’est celui de l’avoir suivi, de s’être abandonné à l’ivresse de la trace, à la répétition du trait, à l’infini du signe et du sens. L’inspiration ? Vous voulez rire. C’est encore le hasard qui lui fournit l’objet hors du temps comme une idée vivante, le hasard, toujours, qui le garde pur de toute volonté pour le guider vers l’œuvre contemplative pure de toute causalité.

Et le voilà qui débouche, sans l’avoir voulu, bien sûr, mais en toute logique, au carrefour de l’irrationnel et de l’accidentel, qu’il arrête le temps, le temps d’une griffure, le temps de nous donner à voir avec humour – il faut savoir rester léger – ce qui se cache sous l’apparence immobile, la ressemblance, le simulacre, le paraître. Michel Jouët : le patronyme est trop tentateur pour ne pas succomber. Que fait là ce tréma ? N’est-ce pas Michel Jouet qu’il eût fallu écrire et, après chaque œuvre, Michel Jouait ? D’accord, Michel, ce n’est pas toi. Mais pour notre très grand plaisir et notre émerveillement, joue encore longtemps au jeu de l’œuvre et du hasard.

Michel Luneau 2009