Dietmar Guderian

Manifestations naturelles.

Une dernière composante, non moins importante, de l’œuvre de Michel Jouët, intègre des phénomènes naturels auxquels l’artiste confère une valeur artistique dans des œuvres étrangement attirantes. Pour réaliser Paysage aux meules (1988), il photographie des balles de foin, dispersées dans un champ visibles de la terrasse de sa maison. Elles apparaissent comme des rectangles dont la taille se réduit avec la perspective, à l’exception d’une qui, ayant pivoté, se présente comme un cercle. La régularité de la répartition des rectangles marque ici de façon encore plus intense que dans les œuvres, précédemment présentées comme pseudo-chaotiques, qu’il n’y a aucune part de hasard et que ces objets sont soumis à une structure d’ordre qui, bien qu’elle ne soit pas rigoureusement mathématique, n’en reste pas moins perceptible.

Cependant, Michel Jouët est susceptible d’inverser la démarche. Le mur-bien réel- d’un jardin suit, d’un coté, une pente régulière, puis, sans transition, devient horizontal. Cette rupture de pente -naturelle- Michel Jouët l’intègre à une œuvre d’art comportant deux barres métalliques, noires et rectilignes fixées parallèlement aux sommets des deux parties du mur. Il en souligne ainsi visuellement la rupture en la rendant abstraite. La nuit, cet effet est encore accentué car ces barres sont lumineuses.

Ce penchant, à rentre perceptible la complexité naturelle au moyens d’une accentuation visuelle, se trouve bien ailleurs dans l’œuvre de Michel Jouët, notamment dans Souris(1971). Pour réaliser cette œuvre, il fait photographier par les visiteurs, lors d’une exposition, des souries placées dans une cage dont il a peint le fond de rayures noires et blanches. Dans Arbre peint (fragment) (1987), des bandes de vingt centimètres, alternativement noires et blanches, se succèdent depuis les racines jusqu’au bout des branches. Dans Arbre peint (une ligne) (1987), c’est une ligne continue qui s’élève de la base du tronc jusqu’à la pointe d’une branche.

Bien des singularités dans l’œuvre de cet artiste s’expliquent, certainement, par le long isolement, dans lequel Michel Jouët s’est tenu, du monde des arts et du milieu des artistes. Evidemment, ceci a conduite plus d’une fois à des parallèles du point de vue plastique- non du point de vue conceptuel (à maintes reprises on le pense très proche de Böhm, par exemple, ou encore de Morellet). Pourtant, l’ouverture d’esprit de Michel Jouët face aux phénomènes de son environnement direct -champs, murs, arbres etc.- son souci constant de transposer ses perceptions visuelles dans sa production artistique le conduit à prendre de la distance d’une façon presque ludique et naturelle avec la réalité brute, afin de développer des idées artistiques nouvelles et inattendues. En ceci, Michel Jouët est un représentant type de la jeune génération des artistes opérant dans le concret-construit. Il ne se tient pas, des années ou des décennies durant, à une règle stricte qu’il se serait imposée, mais constamment, il saisit au passage les idées et les sensations visuelles que suscite son environnement, pour ébaucher des créations artistiques qu’il peut reprendre des années plus tard, renonçant à poursuivre les travaux du cycle en cours. Pourtant la reprise , durant les années 1970-1980, de projets datant de plusieurs années s’explique moins par un calcul artistique subtil que par des raisons économiques. C’est un fait que beaucoup de projets intéressants datant des années soixante ou du début des années soixante dix, ne purent aboutir faute d’argent. En outre, on peut constater que les œuvres réalisées bien des années après leur conception constituent souvent des exemples particulièrement représentatifs de toute une époque.

Le travail de Michel Jouët se singularise par son appréhension ludique des données naturelles. Même si ses œuvres semblent, à première vue, n’avoir que peu de rapport entre elles (cube emmailloté, bâtons inclinés, barres flexibles, etc.), elles ont en commun sa recherche d’une problématique physico-technique dont elles découlent d’une façon presque naturelle et manifeste. Bien qu’il tire ses sources d’inspiration de façon quasi arbitraire de son environnement, il en traduit l’ordonnancement et la cohésion propre dans la conception formelle de ses œuvres. Il le fait sans concession, dans le cadre d’un projet plastique intellectuel et concret à la fois.

Michel Jouët est le représentant type, de la génération d’artistes héritière des concrets de Zûrich : ses œuvres sont soumises à des règles strictes. Par ailleurs, contrairement aux artistes de la première génération, il s’octroie la liberté de chercher l’inspiration dans un domaine sans structure géométrique préexistante. Cette liberté présente, pour lui, un intérêt car, contrairement à ses aînés, il n’est pas prisonnier, pendant de longues périodes, d’un système déterminé, rigide. Outre l’étonnement, sans cesse renouvelé, devant des inventions inattendues dans le domaine plastique, cette liberté offre, en plus, au spectateur, l’intérêt de ses séries de quelques œuvres- puis reprises, bien des années plus tard- ou rayonne l’authentique vigueur intellectuelle qui s’exprime dans les œuvres de l’art concret.

Dietmar Guderian – 1995

Traduction Bernard Truffault