Christophe Cesbron

Michel Jouët fait partie de ces rares artistes abstraits qui construisent une œuvre solide, sérieuse, radicale tout en gardant intact un sens subtil de l’humour. Il y a toujours un petit déclic, un léger déséquilibre, une liberté qui fait grincer les rouages et qui génère un sourire, une étincelle d’intelligence dans les systèmes géométriques les plus arides. C’est ce rapport au monde qui est intéressant, cette part du chaos et du désordre que l’on s’ingénie à modéliser ou organiser. Avec Jouët, les carrés, les cercles, les lignes, les pleins, les vides jouent des tours, inventent de nouveaux espaces, perdent l’équilibre, créent de nouvelles perspectives et d’étranges réactions en chaînes.

Christophe Cesbron – Expo Nantes 2010

Michel Jouët

Il y a toujours quelque chose de présomptueux à vouloir présenter l’œuvre d’un artiste. Une exposition est avant tout un parcours ouvert sur un espace, une pensée. À chacun d’y évoluer selon son plaisir et sa curiosité.

Une œuvre n’est pas réellement une énigme. S’il est souvent difficile d’en dénouer les fils (et c’est heureux), il est parfois nécessaire d’en saisir quelques principes qui en permettent une approche plus précise et peut-être plus réjouissante.

Avec Michel Jouët, il faut se méfier des certitudes. Son travail jongle entre déclinaisons multiples, variations subtiles, géométries variables, perturbations infimes… Il crée et construit avec rigueur et humour.

Il faut réussir à dépasser la rigueur de l’œuvre pour en découvrir le jeu et la subtilité. Tout fonctionne comme une fugue de Bach : une armature très étudiée, une réalisation parfaite et un souffle fluide, léger, presque magique.

L’artiste combine construction architecturale, originalité structurelle et invention brillante dans des variations aussi infinies qu’infimes. L’espace qu’il explore a beau être celui de la ligne et de la géométrie, il le dépasse largement pour entraîner le spectateur hors du cadre, hors du champ, dans cette magie du léger décalage, du petit déséquilibre, dans des perturbations minimes, dans des manipulations intelligentes et raffinées.

Les déclinaisons se multiplient, aussi malicieuses que simples, aussi libres qu’éclatantes.

Les hasards lumineux se profilent et entraînent avec eux de nouvelles expériences. Les formes frôlent le dérèglement, le taquine, sans jamais y succomber. Les combinaisons jouent avec l’aléatoire dans des variations qui deviennent contemplatives. Les œuvres prennent une dimension architecturale merveilleusement empirique, parfaite et pourtant invraisemblable.

Ce qui est fascinant dans le travail de Michel Jouët, c’est que sa seule analyse structurelle ne peut suffire : elle laisserait de côté cette part tout aussi essentielle et énigmatique : l’humour et le hasard qui lui donnent sa force et sa véritable élégance. Sans doute parce qu’il sait allier logique et liberté.

Et la vision devient sereine, comme une équation…

Christophe Cesbron

1996