Christiane Talmard

Une petite phrase de Jean TARDIEU, mise en citation dans ce catalogue, ne cesse de me traverser l’esprit comme une flèche décochée par un archer plein de malice et de subtilité, dès l’instant où je pense à Michel JOUËT.

« Prolonger une ligne droite à l’infini, qu’est-ce que vous trouverez au bout ? »

J’imagine ses yeux pétiller de connivence…

Ce qui m’a le plus étonné, chez cet artiste, c’est la faculté qu’il a de jouer avec le sacré. Pas d’une manière sacrilège. Bien au contraire : il accomplit son œuvre dans la croyance de l’ordre du monde.

Son audace est d’une autre nature.

D’un côté, il s’est soumis aux mêmes règles que les bâtisseurs des églises romanes qui jalonnent les routes de son pays natal : ordre, austérité, rigueur, dépouillement, silence.

De l’autre, il a la liberté de ceux qui sont en harmonie avec les lois fondamentales de l’univers. Dans mon imagination, Michel JOUËT s’est approprié la petite phrase de Jean TARDIEU, celle qui doit donner le vertige à l’incrédule ; il a décliné à tous les temps, lui inflige toutes les torsions et toutes les tensions possibles ; il jongle avec ; IL JOUE.

Et on ne sait plus, dans ses jeux de lignes, de vide et de surfaces, si Michel JOUËT joue avec le hasard ou si le hasard joue avec Michel JOUËT. Peut-être les deux. Peut-être assiste-t-on à une grande partie d’échecs. « Il faut jouer avec l’aléatoire. Finalement, on a le hasard qu’on mérite… » C’est lui-même qui le dit.

La rencontre avec l’œuvre de Michel JOUËT laisse en soi la trace d’un moment de pure émotion et l’affirmation du « je ne sais quoi » et du « presque rien »(*) qui donne un sens à l’existence.

*Vladimir JANKELEVITCH

Christiane Talmard Annecy 1995