Bernard Truffault

Le Sphube

L’artiste, par exception, lui a donné un titre. Ce n’est pas une énigme, il y a sphère, il y a cube. Une chose est certaine, il occupe l’espace uniquement par des lignes. Il pique la curiosité, il parle à l’intuition mais est-ce une œuvre d’art ou bien un trompe-l’œil ?

Le géomètre, blasé, dresse un premier constat. C e fil noir décrit un carré gauche, dont les deux côtés déterminent deux plans horizontaux et deux verticaux.

Deux courbes suggèrent deux autres plans. Oui, le cube est bien là avec six faces et les deux arcs esquissent sa sphère circonscrite. C e titre est un clin d’œil sans mystification. Ce fil est fascinant. On se déplace un peu, il se croise, se décroise suivant la perspective.

On fléchit les genoux, on le voit tout à tour : triangle pointe en haut, trapèze, carré parfait et trapèze à nouveau, mais dans un sens inverse ; triangle pointe en bas, et puis trapèze encore mais croisé cette fois, puis croix de Saint André.

Le trapèze enfin se décroise afin de redonner le triangle initial. Le tour est terminé et le souffle coupé.

Ce n’était pourtant, qu’un demi-tour !

La raison tente, alors, de reprendre ses droits, ce fil comment tient-il ?

Pas par magie, bien sûr, mais-trouvaille d’artiste- il est tout simplement tendu en deux endroits solidaires du socle et tiré en deux autres par deux arcs flexibles. Cette structure tendue, dans le jargon technique, ne subit, comme contraintes internes, que d’infimes tractions. Les seules compressions s’échangent avec le socle. De ce point de vue déjà, c’est une réussite. Mais comment empêcher l’esprit d’aller plus loin.

Quatre mètres de fils et quatre mètres de fibres façonnent une sculpture, occupant un volume de près de quatre cents litres et pesant deux fois moins que l’aire qu’elle délimite. Parler de paradoxe, ce serait un non-sens. Cette œuvre, est une clef, un guide pour la lecture des toiles qui l’entourent.

Celles-ci sont toutes blanches et portent quelques lignes qui expriment une quête : construire la perfection, dans cet état extrême où toute soustraction conduirait au trivial ; avec l’ambition, parfois démesurée, d’embrasser l’espace alentour, étymologiquement.

De ce point de vue, cet art n’est pas suprématiste, d’autant que Michel Jouët réfute tout discours. L e qualifier d’un mot est bien présomptueux mais tenons le pari. Disons-le cistercien. Il l’est par les couleurs, le goût de l’harmonie, certes, et bien au-delà, par l’union de l’esprit et du travail des mains, le respect scrupuleux d’une règle consentie, la croyance en l’ordre du monde et ce dépouillement, qui bien loin d’être austère, engendre la beauté pure, suscite l’émotion, voire la passion.

Bernard TRUFFAULT

15 juillet 1993